Nous sommes un siècle après la fin de la Troisième Guerre Mondiale. L’humanité, au bord de l’extinction, s’est divisée en deux groupes. D’un coté, les cités unifiées, réseau de mégapoles ultra-technologiques reliées entre elles, protégées des radiations par des filtres et dont les habitants sont dotés de puces dans le cerveau. Ultrasécurisées, bénéficiant des dernières avancées génétiques, les sources de production de nourriture sous protection militaire, les habitants des cités unifiées vivent renfermés sur eux-mêmes, coupés de tout ce qui est à l’extérieur des filtres protecteurs. De l’autre, le pays horcite, sauvage et anarchique. Les hommes sont divisés en clans qui assurent, bon an mal an, la protection de leurs membres contre les esclavagistes et les agressions des autres clans, avant de mourir sous les coups d’animaux mutants ou de cancers.
Ganesh est un jeune fouineur, sorte de super-détective, de la cité unifiée de NyLoPa, doté d’une puce de nouvelle génération. Puce qui tombe à point nommé pour enquêter sur un phénomène mystérieux : des meurtres sont commis, par centaines, voir par milliers, par une force mystérieuse, invisible et insaisissable, que la presse ne tarde pas à surnommer les Ombres. Les cadavres s’accumulent, les politiciens se tirent dans les pattes, les rumeurs de coup d’état se font de plus en plus insistantes, et l’enquête piétine… Les cités unifiées feraient-elles face à leur plus grande menace depuis la fin de la guerre ?
Dans le pays horcite, les choses ne vont pas mieux. Des hommes mystérieux, les Cavaliers de l’Apocalypses, équipés d’armures noires et apparemment invincibles, massacrent méthodiquement les populations. Sans pitié, sans peur, ils exterminent hommes, femmes et enfants. La jeune femme Naja, qui a réussit d’extrême justesse à leur échapper, va s’enfuir vers le sud, traversant des territoires hostiles, ravagés par les guerres des clans et les raids des marchands d’esclave. Et toujours, derrière, les Cavaliers de l’Apocalypse se font de plus en plus pressant.
Alors, que valent ces Chroniques des Ombres ? Je suis assez mitigé. Déjà, ce livre souffre, au moins pendant sa première moitié, d’un défaut absolument insupportable : il y a des dizaines et des dizaines de cliffhangers. Au début sa fonctionne plutôt bien, on est pris dans l’histoire, on veut absolument savoir ce qui va suivre… et au bout du quarante-huitième, on n’en a plus rien à foutre. A dire vrai, on a même l’impression que l’auteur nous prend pour des cons, ça parasite totalement la lecture. Pire, quand des personnages importants meurent, on ne s’en rend pas compte : dans la mesure où Pierre Bordage maintient un niveau de tension très élevé tout au long du livre, il n’y a pas de différence entre un moment normal et la mort d’un personnage qu’on apprécie et auquel on s’est attaché. Il y avait vraiment des moments où j’avais envie d’étrangler Pierre Bordage en le secourant tout en lui hurlant dessus « on n’est pas dans une série télé des années 90, connard ».
Je m’attarde un peu sur le sujet, mais cette manie de mettre des cliffhangers toutes les 20 pages m’a horripilé. Je crois que jamais un livre, par ailleurs assez bon, n’a provoqué chez moi un tel sentiment de rejet.
Après, cette manie des cliffhangers est probablement due au fait qu’à la base, Chroniques des Ombres était une série audio en 23 épisodes. Ca se sent, le livre fait très « roman par épisode », comme il pouvait s’en publier au 19e siècle. Mais bon sang, qu’est-ce que c’est lourd !
Car si on laisse– difficilement – de coté cette questions des cliffhangers à répétition, Chroniques des Ombres est plutôt bon. L’histoire est prenante, le livre soulève quelques questions intéressantes, les personnages sont assez attachants – quoi qu’assez archétypaux et sans grandes surprises, ils auraient sans doute gagnés à être plus travaillés.
Tant qu’on en est aux personnages, j’ai un gros problème avec Ganesh et Josp. Ces deux garçons sont certes forts sympathiques, mais ils ont chacun un pouvoir spécial – sa puce dernière génération pour Ganesh, sa capacité à voir l’avenir pour Josp. Ces deux capacités sont absolument nécessaires au bon déroulé de l’intrigue (sans elles, tout le monde serait mort à la moitié du livre), mais elles font vraiment pouvoir magique. La puce de Ganesh au moins est expliqué (je l’aurais fait d’une autre manière, qui aurait faite un peu moins « intervention divine », mais bon), mais le pouvoir de vigie de Josp, lui, n’a aucune explication logique, si ce n’est un « tas gueule, c’est le résultat des radiations ». C’est franchement beaucoup trop léger pour quelque chose d’aussi essentiel à l’intrigue.
Néanmoins, à la différence des cliffhangers, ces pouvoirs magiques ne nuisent pas à la lecture. Il n’y a qu’à la toute fin du livre qu’on commence à réaliser que c’est un peu léger, et à ce niveau, on est absorbé par la découverte de la véritable nature des Ombres, donc ça passe.
D’ailleurs, il faut quand même que je le dise : sans rien vous spoiler, la véritable nature des Ombres claque bien. Chapeau bas. Je ne l’avais pas du tout vu venir, et en même temps c’est tout à fait logique. Et dans les dents la Sylicon Valley. Je regrette jusque que cette véritable nature n’ait pas été introduite plus tôt dans le récit, mais ça passe. Et puis, c’est tellement une bonne idée…
Par contre, j’ai un énorme problème avec la dernière page. Je veux dire… tout ça pour ça ? On vient de se taper 860 pages, et on n’a même pas droit à une véritable conclusion ? Sérieusement ? C’était si difficile de nous faire une vraie conclusion de trois pages histoire de dire au revoir aux personnages ?
Bref, Chroniques des Ombres aurait pu être vraiment bon, mais est juste correcte à cause de techniques de tâcherons. Dommage. Mais ça reste tout à fait plaisant à lire.